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Legal Eye eLetter

Numéro spécial #4— décembre 2012

Bienvenue à
Panorama légal de la CPI
bulletin juridique

 
 

 

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Women’s Initiatives for Gender Justice est une organisation internationale de défense des droits des femmes militant pour la justice pour les femmes, comprenant l’inclusion des crimes basés sur le genre, dans les enquêtes et les poursuites judiciaires de la Cour pénale internationale (CPI) et dans les mécanismes nationaux, y compris les négociations de paix et les processus de justice. Nous travaillons avec les femmes plus touchées par les situations de conflit qui font l’objet d’une enquête de la CPI.

Women’s Initiatives for Gender Justice a des programmes en Ouganda, en RDC, au Soudan, en République centrafricaine, au Kenya, en Libye et au Kirghizistan.

Bureaux
Le Caire, Egypte
Kampala and Kitgum, en Ouganda
La Haye, aux Pays-Bas

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Chères amies, chers amis,

Bienvenue à ce numéro spécial de Panorama légal de la CPI, le bulletin juridique régulier de Women's Initiatives for Gender Justice. Dans Panorama légal de la CPI, vous trouverez des résumés et des analyses de genre portant sur les dernières décisions judiciaires et autres développements légaux au sein de la Cour pénale internationale (CPI). Vous pourrez également consulter des discussions sur des questions juridiques découlant de la participation des victimes devant la CPI, notamment lorsque ces questions se rapportent à des accusations de crimes basés sur le genre, et ce, pour chacune des situations faisant l’objet d’une enquête de la CPI. La Cour enquête actuellement sur des situations se déroulant dans sept pays, soit en Ouganda, en République démocratique du Congo (RDC), au Darfour (Soudan), en République centrafricaine (RCA), au Kenya, en Libye et en Côte d'Ivoire.

En plus de Panorama légal de la CPI, nous produisons également Voix des Femmes, une lettre d’information régulière fournissant des mises à jour et des analyses sur les derniers développements politiques, la poursuite de la justice et la responsabilité pénale, la participation des femmes aux pourparlers de paix et aux efforts de réconciliation, du point de vue de militants pour les droits des femmes qui se trouvent dans des situations de conflits armés, notamment ceux faisant l’objet d’enquêtes de la CPI.

Pour de plus amples renseignements sur le travail de Women’s Initiatives for Gender Justice ou pour consulter des versions antérieures de Voix des femmes et de Panorama légal de la CPI, veuillez visiter notre site web www.iccwomen.org.

Ce numéro spécial est le quatrième d’une série de publications portant sur le premier jugement rendu par la Chambre de première instance I, le 14 mars 2012, dans le cadre de l’affaire contre Thomas Lubanga Dyilo. Dans le dernier numéro spécial de cette série, nous décrirons les observations que l’organisation Women’s Initiatives for Gender Justice a présentées à la CPI pour veiller à ce que la dimension de genre soit considérée dans les procédures en réparation. Au cours des trois numéros précédents, nous avons respectivement analysé l’approche de la Chambre de première instance concernant les crimes de violence sexuelle, ses conclusions sur la responsabilité pénale individuelle de Lubanga en ce qui a trait aux chefs d’accusation qui ont été portés contre lui, ainsi que ses conclusions relatives aux techniques d’enquête de l’Accusation et son utilisation d’intermédiaires. Les numéros spéciaux précédents sont disponibles ici. Pour une analyse complète du jugement de première instance, de la fixation de la peine et des décisions relatives aux réparations, veuillez consulter la publication Gender Report Card 2012 (en anglais).

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RDC :: Le jugement Lubanga – Women’s Initiatives présente des observations relatives aux procédures en réparation dans le cadre de l’affaire Lubanga

Le 14 mars 2012, la Chambre de première instance I[1] a rendu un jugement relatif à la première affaire devant la CPI, Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, déclarant Thomas Lubanga Dyilo (Lubanga) coupable des crimes de guerre de conscription et d’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans et du fait de les avoir fait participer activement à des hostilités, au sens des articles 8(2)(e)(vii) et 25(3)(a) du Statut, du début septembre 2002 au 13 août 2003 (jugement).[2] Lubanga est l’ancien président de l’Union des patriotes congolais (UPC) et commandant en chef des Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC).

Dans une ordonnance portant calendrier[3] rendue le même jour que le jugement, la Chambre de première instance a invité les parties et les participants, ainsi que le Greffe, le Fonds au profit des victimes et les autres parties intéressées à déposer leurs observations sur les principes que la Chambre devrait appliquer et les procédures qu’elle devrait suivre pour fixer les réparations. En particulier, la Chambre a demandé des observations relatives aux cinq questions suivantes : (a) Les réparations devraient‐elles être accordées à titre individuel ou collectif ? (b) Quels devraient en être les bénéficiaires ? Comment évaluer le dommage ? Quels critères appliquer ? (c) Est‐il possible ou opportun de rendre une ordonnance de réparation contre la personne condamnée ? (d) La Chambre devrait-elle ordonner que l’indemnité accordée à titre de réparation soit versée par l’intermédiaire du Fonds au profit des victimes ? (e) Les parties ou les participants devraient‐ils demander la comparution d’experts ?[4]

Le 28 mars 2012, l’organisation Women’s Initiatives for Gender Justice a demandé l’autorisation de participer aux procédures en réparation, indiquant que sa déposition contiendrait des observations sur, entre autres, la prise en compte d’une perspective de genre lors de l’élaboration des principes relatifs aux réparations, la reconnaissance du préjudice causé par la violence sexuelle, la considération d’une perspective de genre lors de la conception de l’ordonnance de réparation, l’importance de consultations approfondies avec les victimes et la fonction de transformation des réparations afin de promouvoir l’égalité des sexes.[5] Le 20 avril 2012, la Chambre de première instance a rendu sa décision, autorisant la demande de Women’s Initiatives ainsi que quatre autres requêtes soumises par des ONG nationales et internationales, et des organisations intergouvernementales.[6] Le 10 mai 2012, Women’s Initiatives for Gender Justice a déposé ses observations.[7]  Cette dernière a présenté des documents juridiques à la CPI à six reprises et a obtenu la qualité d’amicus curiae dans les affaires contre Lubanga[8] et Jean-Pierre Bemba Gombo (Bemba).[9] Women’s Initiatives a été la seule organisation internationale de défense des droits des femmes à présenter des observations dans le cadre de ces procédures en réparation et est, à ce jour, la première organisation internationale de défense des droits des femmes à avoir obtenu le statut d’amicus curiae par la CPI.

Comme indiqué dans le premier numéro spécial de cette série qui discutait des conclusions de la Chambre sur la violence sexuelle, Lubanga a été jugé et condamné sur la base d’accusations restreintes et aucune accusation de violence basée sur le genre n’a été portée contre lui, ce qui comporte potentiellement d’importantes implications sur la portée des réparations. Cependant, dans le cadre des procédures, des témoins de l’Accusation ont fourni des éléments de preuve et livré des témoignages détaillés concernant des violences sexuelles commises par l’UPC envers des enfants soldats. Dans son jugement, la majorité de la Chambre de première instance a estimé qu’elle n’avait pas pu considérer les éléments de preuve concernant la violence sexuelle, conformément à l’article 74(2),[10] parce que les allégations factuelles relatives à la violence sexuelle n’avaient pas été incluses dans la Décision de confirmation des charges de la Chambre préliminaire.[11] Dans sa décision relative à la peine du 10 juillet 2012,[12] la majorité de la Chambre de première instance I[13] n’a pas expressément considéré la violence sexuelle dans son évaluation de la gravité des crimes, et la Chambre n’a pas non plus jugé que la violence sexuelle commise contre les recrues constituait un facteur aggravant. La Chambre a indiqué à la fois dans son jugement et dans sa décision relative à la peine qu’elle déterminerait au moment venu si la violence sexuelle devrait être prise en considération aux fins des réparations.[14]

Le 7 août 2012, la Chambre de première instance a rendu sa décision en matière de réparations, établissant une série de principes relatifs aux réparations et à l’approche qui devrait être adoptée dans le cadre de sa mise en œuvre.[15] C’était la première décision relative aux réparations de la CPI.

Dans une déclaration datée du 10 août 2012, Women’s Initiatives for Gender Justice a salué la décision :

Cette décision reconnaît que les réparations constituent un élément clé du Statut de Rome et donc du mandat de la CPI. Les réparations sont possiblement la représentation la plus tangible du processus de justice pour les victimes, en particulier pour celles qui ont eu peu d’accès aux procédures judiciaires formelles ou d’informations sur ces dernières. […] La Chambre de première instance a reconnu cette importance en approuvant le plus grand nombre de solutions de réparation possibles et en mettant l’accent sur les principes relatifs à l’intégration de genre, à la flexibilité, à la sensibilité aux divers besoins des victimes, ainsi qu'à la capacité d'action et la contribution des victimes/survivants en ce qui a trait à l'identification et l’élaboration de programmes de réparations. C’est très encourageant.[16]

Pour de plus amples renseignements sur la décision relative aux réparations ainsi que sur les observations soumises par les parties, participants et amici curiae en matière de réparations, veuillez consulter Gender Report Card 2012 (en anglais).

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Les observations de Women’s Initiatives sur la prise en compte d’une perspective de genre dans les réparations

Dès le début des observations relatives aux réparations soumises à la Chambre de première instance, le 10 mai 2012, l’organisation Women’s Initiatives for Gender Justice a souligné que, parmi les cours et les tribunaux, le Statut de Rome contenait « des dispositions uniques requérant [la CPI] de tenir compte des questions relatives au genre dans son administration de la justice »[17] ainsi que « des dispositions spécifiques obligeant la Cour à appliquer et à interpréter la loi conformément aux droits humains reconnus internationalement, et ce, sans distinction défavorable fondée sur des motifs tels que le genre ».[18] Notant que « la discrimination sexuelle est profondément ancrée dans la plupart des contextes sociaux et culturels », y compris en RDC, et que « les femmes et les filles ne vivent pas les conflits de la même façon que les hommes et les garçons, assumant souvent un fardeau disproportionné durant les situations de conflits armés »,[19] la déposition a proposé que les principes adoptés par la Chambre incluent des méthodologies précises qui sont sensibles au genre et ne portent pas atteinte aux droits des victimes, y compris les victimes de violence sexuelle, en vertu du droit national et international. 

Au cours de ses observations, l’organisation Women's Initiatives a insisté à plusieurs reprises sur l’importance de certains principes de réparation pour garantir une justice en matière de genre, incluant : une approche axée sur la parité ; la non-discrimination ; l’importance de communications approfondies avec les femmes, les filles et les victimes/survivantes ; une conception large du préjudice ; la fonction de transformation des réparations. En particulier, la déposition a souligné que les stratégies et les initiatives de réparations devaient réellement reconnaître et intégrer les questions relatives au genre afin d’aborder et de répondre aux besoins particuliers des filles et des femmes.[20] Il est nécessaire d’intégrer ces dernières dans le processus de consultation et elles doivent être en mesure de faire des choix et de s’exprimer durant ce processus.[21] Women’s Initiatives a suggéré que les consultations soient menées par une personne ou un organisme possédant une expertise en matière de réparations relatives aux crimes basés sur le genre, ainsi qu’une expertise et de l’expérience dans les domaines de l’analyse de genre et de la violence sexuelle et basée sur le genre.[22] Les observations ont demandé qu’une attention particulière soit accordée aux modalités du processus de consultation, ainsi qu’à la nécessité d’un apport important sur la forme des réparations dont les femmes et les filles ont le plus besoin. En outre, il a été suggéré qu’une consultation efficace était essentielle pour prévenir les impacts discriminatoires involontaires.[23] La déposition a aussi mis l’accent sur « l’importance d’une approche relative aux réparations qui cherche essentiellement à transformer les relations communautaires et de genre par l’entremise du développement et de la mise en œuvre de programmes conçus à cette fin ».[24] Les réparations devraient notamment chercher à opérer une transformation en luttant contre la violence sexuelle et les conditions qui existaient avant le conflit et qui ont possiblement contribué aux crimes.[25]

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L’octroi de réparations collectives ou individuelles

Dans ses observations, Women’s Initiatives a fait remarquer qu’il n’existait aucune définition juridique unique pour les réparations « collectives » et « individuelles », et que ces termes étaient utilisés pour référer à une multitude de concepts par les parties et les participants. Comme l’a noté le Greffe, « en pratique, ces concepts ne sont ni entièrement distincts ni mutuellement exclusifs » ;[26] dans sa déposition, l’UNICEF a suggéré qu’ils devraient « se renforcer mutuellement ».[27] Généralement en accord avec tous les participants, Women’s Initiatives a suggéré que la Chambre « devrait octroyer à la fois des réparations collectives et individuelles, en mettant l’accent sur les réparations collectives ».[28] Les observations de Women’s Initiatives ont recommandé que certaines formes de réparations collectives incluent des aspects individuels, reconnaissant ainsi les expériences personnelles et différentes des victimes/survivantes, ce qui est essentiel au rétablissement des droits qui ont été bafoués ou érodés durant le conflit, et afin d’appuyer la guérison personnelle et le bien-être de l’individu concerné.

En se fondant sur la distinction du Fonds au profit des victimes entre les « réparations collectives qui sont “intrinsèquement collectives et exclusives” (telles que les services de santé spécialisés conçus pour un groupe spécifique de victimes), et les réparations collectives qui “adoptent une approche communautaire et ne sont pas exclusives” (telles que les écoles qui profitent à l’ensemble de la communauté) »,[29] Women’s Initiatives a estimé que les deux options étaient appropriées dans cette affaire. Les observations ont suggéré que la première option pourrait traiter « des besoins de victimes/survivantes individuelles dans un contexte collectif », telles que les victimes de violence sexuelle, et elles ont insisté sur la nécessité de la seconde option pour offrir des possibilités de transformation, notamment en « luttant contre la discrimination sexuelle profondément ancrée au sein d’une communauté ou d’une société ».[30]

L’organisation Women’s Initiatives a soutenu l’utilisation des réparations collectives en considérant que le préjudice n’avait pas seulement affecté des individus, mais qu’il avait aussi eu des impacts sur le plan « de la famille, du village, de la communauté, de la société et du groupe ethnique ».[31] En examinant le nombre limité des victimes participant aux procédures (au moment du jugement, il y en avait 129, dont 34 étaient de sexe féminin) et des demandeurs de réparations (85), la demande a aussi affirmé que des réparations collectives « permettraient à la Cour de joindre des victimes non identifiées, incluant des femmes et des filles », et que, inversement, ne fournir des réparations qu’aux individus qui en ont fait la demande aurait pour effet « d’exclure involontairement les femmes et les filles réticentes à se manifester de peur d’être stigmatisées ou en raison d’autres obstacles les empêchant généralement d’avoir accès à des services ou à la justice ».[32] Les observations ont souligné que d’omettre « de considérer une perspective de genre dans la conception d’une stratégie relative aux réparations » et de veiller à ce que les femmes et les filles soient incluses dans les procédures aurait un impact discriminatoire sur les victimes de sexe féminin.[33]

Selon Women’s Initiatives, une disposition relative aux réparations collectives serait nécessaire « pour lutter contre les préjudices causés par la violence sexuelle, une caractéristique déterminante du conflit en République démocratique du Congo (RDC) et une partie intégrante de chacun des crimes pour lesquels M. Lubanga a été condamné ».[34] À cet égard, les observations ont insisté sur le fait que les réparations collectives ont le potentiel de changer les profondes inégalités de genre qui contribuent à la violence sexuelle par l’entremise de la création de programmes qui luttent contre la violence envers les femmes et les enfants, traitent de la honte et de la stigmatisation des victimes de crimes basés sur le genre et font la promotion de l’égalité des sexes.[35]

Dans sa déposition, Women’s Initiatives a identifié les formes de mesures de réparations suivantes, et plusieurs d’entre elles ont également été soutenues par d’autres participants :[36]

des programmes de réhabilitation offrant un soutien médical et psychosocial aux victimes/survivantes de crimes basés sur le genre ; des centres de santé et de soutien pour les victimes de viol offrant une aide médicale et psychosociale aux femmes afin de favoriser leur rétablissement à la suite de violences sexuelles, incluant des services de santé reproductive et sexuelle et de traitement des MST et du VIH/SIDA ; des programmes de réhabilitation sociale et de démobilisation pour les anciens enfants soldats ; l’établissement de services médicaux et psychosociaux et de centres de santé spécialisés en matière de traumatismes d’enfance et de travail avec les enfants soldats ; des programmes anti-violence à l’échelle de la communauté ; des programmes de droits humains et de formation juridique pour informer les femmes de leur droit de mener une vie sans violence ; des programmes d'éducation communautaires s’adressant aussi aux hommes et encourageant les chefs de communautés de sexe masculin à soutenir ces initiatives.[37]

Même si elle accorde la priorité aux réparations collectives, Women’s Initiatives a aussi reconnu l’importance des réparations individuelles. Ces dernières peuvent se montrer reconnaissantes envers des individus qui ont participé au processus de justice, même si cela représentait un risque pour eux ou leur famille, et ceux qui ont participé au processus judiciaire en tant que représentants pour de larges communautés de victimes/survivants.[38] La déposition a aussi noté que les stratégies de réparations collectives pourraient ne pas répondre aux besoins de personnes vulnérables et de victimes/survivants.[39] Cependant, elle a aussi souligné plusieurs désavantages importants des réparations à titre individuel, incluant : les coûts disproportionnés liés à la vérification des victimes qui diminuent l’impact des réparations ; la stigmatisation potentielle des individus identifiés en tant que bénéficiaires ; la possibilité de miner la cohésion communautaire ; le fait qu’elles soient perçues comme des « récompenses » accordées aux anciens enfants soldats, encourageant ainsi de futurs enrôlements.[40]

Women’s Initiatives a insisté sur la nécessité de consulter les victimes/survivants, en particulier les femmes et les filles, « afin d’être certain que les femmes et les filles participent réellement au processus d’élaboration et d’identification de réparations appropriées »,[41] car elles pourraient avoir des points de vue différents en ce qui concerne les types de réparation et les modalités qu’elles considèrent importantes, et pour éviter que l’ordonnance de réparation ne reproduise la discrimination sexuelle actuelle. Les observations ont aussi fait remarquer que les consultations devraient examiner :

si les femmes ont le pouvoir de prendre des décisions dans leurs famille et leur communauté, si elles ont légalement le droit ou si elles sont culturellement en mesure de conserver et/ou posséder toute forme matérielle de réparations qui pourrait leur être octroyée, et si elles auront entièrement accès aux autres formes de réparations, y compris à l’ensemble des programmes, projets et services qui pourraient potentiellement être offerts.[42]

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L’évaluation du préjudice

Soulignant que le cadre du Statut ne définissait pas le terme « préjudice » ni la relation de cause à effet requise entre le préjudice subi et le crime commis, Women’s Initiatives a demandé à la Chambre d’utiliser une approche « fondée sur l'objet visé » et d’adopter une interprétation de « préjudice » de manière à ne pas limiter la catégorie de victimes pouvant bénéficier de réparations.[43] Par conséquent, Women’s Initiatives a déclaré que tous les types de préjudice subis par les victimes/survivants à la suite de crimes pour lesquels Lubanga a été condamné devraient être considérés, y compris mais non de façon limitative : les préjudices physiques et psychosociaux résultant d’un enlèvement, de la conscription forcée ou de l’obligation à combattre ; les viols et les autres formes de violence sexuelle ; l’esclavage sexuel ; être ostracisé par sa famille ou sa communauté ; la perte de vie familiale, de son enfance, de son éducation ou d’autres occasions favorables ; les grossesses non désirées, les MST, l’ESPT, ainsi que d’autres complications liées à la santé, reproductive ou autre ».[44]

Comme indiqué ci-dessus, la décision de l’Accusation de ne pas porter d’accusations de violence sexuelle dans cette affaire pourrait limiter l’octroi de réparations pour ce type de préjudice, qui a principalement été subi par d’anciennes filles soldats. Dans sa déposition, Women’s Initiatives a fait remarquer que « le viol était une partie intégrante du processus de conscription des filles soldats et que la violence sexuelle constituait une partie intégrante des crimes pour lesquels M. Lubanga a été condamné ».[45] En affirmant que « les réparations ne devrait pas se limiter à une évaluation étroite des préjudices associés aux chefs d’accusation, mais devraient plutôt comprendre l’ensemble des préjudices subis à la suite de ces crimes », Women’s Initiatives a soutenu que les préjudices résultant des viols et de la violence sexuelle devraient faire l’objet d’une ordonnance de réparation.[46] Comme la déposition l’a indiqué, une telle omission aurait un impact nettement discriminatoire fondé sur le genre ».[47]

Comme l’a souligné le premier numéro spécial de cette série, même si aucune accusation n’a été portée contre Lubanga pour viol ou d’autres formes de violence sexuelle, de nombreux éléments de preuve ont confirmé que ces crimes avaient eu lieu au cours des procédures, notamment lors des déclarations d’ouverture et des conclusions finales de l’Accusation et lors de dépositions de témoins.[48] Dans ses observations, Women’s Initiatives a rappelé que la Chambre avait entendu des témoignages directs au sujet des multiples tâches que devaient accomplir les filles soldats, incluant l’obligation de combattre, d’agir comme gardes du corps, de préparer les repas, de fournir des services sexuels et servir de « femmes » aux commandants, ainsi qu’à propos des préjudices physiques et psychologiques.[49] Women’s Initiatives a noté que les témoins avaient : décrit avoir été fouettés ou battus avec des bâtons ; parlé des préjudices résultant des viols, incluant la stigmatisation et la contraction de MST ; mentionné que des filles avaient été expulsées de groupes armés après être tombées enceintes ; témoigné des difficultés liées à la réintégration sociale ; mentionné les préjudices résultant des avortements forcés, qui ont causé des décès ; décrit les blessures subies parce qu’ils étaient forcés à combattre ; parlé de leur manque éducation ; décrit des préjudices psychologiques continuels. Women’s Initiatives a souligné que « ces préjudices sont aussi documentés dans des rapports sur les enfants soldats en RDC ».[50]

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La possibilité d’une ordonnance de réparation contre Lubanga

Le Greffe a indiqué que Lubanga disposait « d’un manque total de ressources identifiées à ce stade » et que son unique participation à une ordonnance de réparation serait nécessairement non monétaire.[51] Women’s Initiatives a appuyé le concept de réparations symboliques, soulignant qu’une telle ordonnance « apporterait une forte reconnaissance publique de ses méfaits ».[52] En plus de cette condamnation, qui peut être considérée comme une forme de réparations symboliques, la déposition a suggéré qu’il pourrait aussi y avoir une forme « de reconnaissance publique de responsabilité lors d’une cérémonie publique diffusée par des radios et télévisions locales et nationales à laquelle participeraient des victimes et des survivants, ou des excuses publiques ».[53] Les observations ont aussi recommandé d’autres formes de mesures symboliques, telles que « la reconnaissance des préjudices causés, une expiation ou des mesures de réconciliation impliquant M. Lubanga ou ses représentants ». En outre, Women’s Initiatives a considéré que « si Thomas Lubanga a certes été déclaré indigent dans le contexte de l’aide judiciaire, il conviendra que la Cour prenne en compte tous ses biens au moment de déterminer s’il est capable de contribuer aux réparations, y compris le bétail, les animaux d’élevage ou tout autre produit matériel ».[54]

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Le rôle du Fonds au profit des victimes

Conformément à la règle 98(5) du Règlement de procédure et de preuve, les « autres ressources » du Fonds peuvent être utilisées au profit des victimes à la discrétion de son Conseil de direction.[55] Le Fonds au profit des victimes a indiqué que son Conseil de direction avait récemment augmenté le montant complémentaire alloué aux réparations pour toutes les affaires devant la Cour à 1,2 million d’euros.[56] À la lumière de l’indigence de Lubanga et de l’expertise du Fonds au profit des victimes à remplir son mandat d’assistance générale, Women’s Initiatives a affirmé que le Fonds serait un corps approprié pour accorder les réparations, un rôle expressément prévu par le cadre du Statut.[57]

Le Fonds au profit des victimes a fourni des observations détaillées sur son rôle potentiel de procéder à des évaluations nécessaires avant et au cours de la mise en œuvre de l’octroi des réparations. En particulier, il a recommandé de procéder à des examens pour déterminer où se trouvaient les lieux, de consulter les victimes et les communautés, d’évaluer les préjudices, de connaître les attentes des victimes et des communautés, et de recueillir les demandes et les recommandations relatives aux réparations.[58] Ces évaluations pourraient permettre au Fonds au profit des victimes de concevoir un plan de mise en œuvre, qui serait sujet à l’approbation de la Chambre à la suite d’une audience des parties intéressées.[59] Le Fonds au profit des victimes a aussi proposé d’exécuter l’ordonnance de réparation conformément au plan approuvé, de surveiller les progrès et de fournir des rapports périodiques ainsi qu’un rapport final à la Chambre.[60] Women’s Initiatives a souligné que le processus de consultation et le plan de mise en œuvre devraient tenir compte des questions suivantes :

Comment les femmes participeront-elles/comment les femmes participent-elles ? Si des intermédiaires issus du pays sont utilisés pour mettre en œuvre des réparations collectives : quels critères devrait-on établir pour garantir que l’intermédiaire agira d’une manière qui intègre pleinement les femmes, et comment peut-on déterminer que les organisations locales de droits des femmes et les acteurs seront utilisés lorsque nécessaire? Quelles sont les modalités de la réalisation du projet et dans quelle mesure les questions relatives au genre sont-elles prises en compte ? Comment les femmes sont-elles impliquées dans les processus décisionnels liés à la mise en place d’un programme spécifique de réparations ?[61]

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La comparution d’experts

Dans sa déposition, Women’s Initiatives a noté que le Statut de Rome et les règlements « prévoient la nomination d’experts à deux niveaux distincts, mais complémentaires. Le premier niveau concerne la nomination d’experts par la Chambre pour les aider relativement aux procédures en réparation, alors que le deuxième concerne la nomination d’un comité d’experts pour aider le Fonds au profit des victimes à consulter les victimes/survivants, à évaluer les préjudices et leurs causes, à déterminer les indemnités et à mettre en œuvre les ordonnances de réparation dans l’affaire ».[62] Women’s Initiatives a souligné l’importance de veiller à nommer des experts possédant des compétences nécessaires en matière de questions liées au genre.

En particulier, les observations ont affirmé que tous les groupes d’experts devraient inclure des membres « possédant une expertise spécifique en matière de violence basée sur le genre et de travail avec les victimes/survivants, les enfants et les autres groupes vulnérables, ainsi qu’une expertise spécifique en ce qui concerne les réparations pour les victimes/survivants de crimes basés sur le genre et les filles soldats, en plus d’une expertise sur l’impact de la violence sexuelle sur les garçons soldats (par exemple, ceux qui ont été forcés à commettre des viols dans le cadre de leur enrôlement/conscription ou ceux qui ont été obligés de chercher des filles pour leurs commandants) ».[63] 

■ Lire les observations de Women’s Initiatives for Gender Justice relatives aux réparations (en anglais)

■ Lire la demande d’autorisation de participer aux procédures en réparation de Women's Initiatives for Gender Justice (en anglais)

■ Lire la décision autorisant l’organisation Women’s Initiatives for Gender Justice à participer aux procédures en réparation (en anglais)

■ Lire la décision fixant les principes et procédures applicables en matière de réparation

■ Lire la déclaration relative à la première décision de la CPI sur les réparations

■ Lire une analyse plus détaillée sur la décision relative aux réparations et sur les dépositions des participants dans la publication Gender Report Card 2012 (en anglais)

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1   La Chambre de première instance I était composée du juge président sir Adrian Fulford (Royaume-Uni), de la juge Elizabeth Odio Benito (Costa Rica) et du juge René Blattman (Bolivie).
2   ICC-01/04-01/06-2842tFRA.
3   ICC-01/04-01/06-2844-tFRA.
4   ICC-01/04-01/06-2844-tFRA, par 8. Les parties, le Greffe, le Bureau du Conseil public pour les victimes (BCPV) et le Fonds au profit des victimes ont tous déposé des observations. Avant l’ordonnance de la Chambre, le Greffe et le Fonds au profit des victimes avaient soumis des observations détaillées sur toutes les questions que la Chambre devrait considérer. Voir ICC-01/04-01/06-2806 ; ICC-01/04-01/06-2803.
5   ICC-01/04-01/06-2853. La déposition est aussi disponible (en anglais) à <http://www.iccwomen.org/documents/Womens-Initiatives-request-Lubanga-reparations.pdf>.
6   ICC-01/04-01/06-2870, la Chambre a aussi accepté les demandes de l’organisation International Center for Transitional Justice (ICTJ), de la Fondation Congolaise pour la Promotion des Droits humains et la Paix (FOCDP), de l’UNICEF, ainsi que la requête commune des ONG suivantes : Terres des Enfants, Justice Plus, Centre Pélican, Fédération des Jeunes pour la Paix Mondiale et Avocats sans frontières.
7   ICC-01/04-01/06-2876.
8   ICC-01/04-01/06-403, ICC-01/04-313, ICC-01/04-01/06-2853, ICC-01/04-01/06-2876.
9   ICC-01/05-01/08-447, ICC-01/05-01/08-466.
10   L’article 74(2) prévoit que le jugement « ne peut aller au-delà des faits et des circonstances décrits dans les charges ».
11   IICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 631. La juge Odio Benito a émis une opinion individuelle et dissidente dans laquelle elle a reconnu que la violence sexuelle était un aspect « intrinsèquement lié » à la notion juridique d’« utilisation d’enfants pour les faire participer activement à des hostilités ». Opinion individuelle et dissidente de la juge Odio Benito, par 16.
12  ICC-01/04-01/06-2901-tFRA. Pour de plus amples renseignements sur la décision relative à la peine, veuillez consulter la publication Gender Report Card 2012 (en anglais).
13   ICC-01/04-01/06-2842tFRA. La juge Odio Benito a émis une opinion individuelle et dissidente dans laquelle elle a conclu que les châtiments sévères et la violence sexuelle qu’ont subis les victimes auraient dû être considérés lorsque la majorité a examiné la gravité du crime, conformément à la règle 145 du Règlement de procédure et de preuve. Opinion individuelle et dissidente de la juge Odio Benito, par 2, 6-23.
14   ICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 631 ; ICC-01/04-01/06-2901, par 76.
15   ICC-01/04-01/06-2904tFRA.
16  Voir Women’s Initiatives for Gender Justice, « Déclaration relative à la première décision de la CPI sur les réparations », 10 août 2012.
17   Toutes les citations originellement présentées en anglais ont été traduites.
18   ICC-01/04-01/06-2876, par 8.
19   ICC-01/04-01/06-2876, par 8.
20   ICC-01/04-01/06-2876, par 8.
21   ICC-01/04-01/06-2876, par 34, 35.
22   ICC-01/04-01/06-2876, par 13, 24, 32.
23   ICC-01/04-01/06-2876, par 32, 56.
24   ICC-01/04-01/06-2876, par 13.
25   ICC-01/04-01/06-2876, par 17.
26   ICC-01/04-01/06-2865, par 29.
27   ICC-01/04-01/06-2878, par 12.
28   ICC-01/04-01/06-2876, par 10.
29   ICC-01/04-01/06-2876, par 12 citant ICC-01/04-01/06-2872, par 174.
30   ICC-01/04-01/06-2876, par 12.
31   ICC-01/04-01/06-2876, par 14.
32   ICC-01/04-01/06-2876, par 20-21.
33   ICC-01/04-01/06-2876, par 21.
34   ICC-01/04-01/06-2876, par 15 citant l’opinion individuelle et dissidente de la juge Odio Benito, ICC-01/04-01/06-2842tFRA, par 21.
35   ICC-01/04-01/06-2876, par 17-19.
36   ICC-01/04-01/06-2878, par 41 ; ICC-01/04-01/06-2863 ; par 94, 97, 101-107 ; ICC-01/04-01/06-2877 ; par 29-34.
37   ICC-01/04-01/06-2876, par 25. L’organisation ICTJ et le BCPV ont suggéré que ces mesures soient accordées à titre de réparations individuelles.
38   ICC-01/04-01/06-2876, par 28.
39   ICC-01/04-01/06-2876, par 29.
40   ICC-01/04-01/06-2876, par 30. Cette préoccupation a aussi été exprimée par les représentants légaux des victimes. Voir ICC-01/04-01/06-2869, par 34.
41   ICC-01/04-01/06-2876, par 31-32.
42   ICC-01/04-01/06-2876, par 35.
43   ICC-01/04-01/06-2876, par 39-42.
44   ICC-01/04-01/06-2876, par 36.
45   ICC-01/04-01/06-2876, par 37.
46   ICC-01/04-01/06-2876, par 37-38.
47   ICC-01/04-01/06-2876, par 20. À l’exception de la Défense, toutes les parties et tous les participants ont recommandé que l’ordonnance de réparation englobe les préjudices causés par la violence sexuelle et les autres formes de violence basée sur le genre, en tant que « partie intégrante » des préjudices causés par la conscription d’enfants. ICC-01/04-01/06-2806, par 20.
48   Les témoins de l’Accusation suivants ont témoigné au sujet de la violence sexuelle commise contre des filles soldats par l’UPC : le témoin 38 (ICC-01/04-01/06-T-114-FRA), le témoin 299 (ICC-01/04-01/06-T-122-FRA), le témoin 298 (ICC-01/04-01/06-T-123-FRA), le témoin 213 (ICC-01/04-01/06-T-133-FRA), le témoin 8 (ICC-01/04-01/06-T-138-FRA), le témoin 11 (ICC-01/04-01/06-T-138-FRA), le témoin 10 (ICC-01/04-01/06-T-144-ENG), le témoin 7 (ICC-01/04-01/06-T-148-ENG), le témoin 294 (ICC-01/04-01/06-T-151-FRA), le témoin 17 (ICC-01/04-01/06-T-154-ENG), le témoin 55 (ICC-01/04-01/06-T-178-Red-FRA), le témoin 16 (ICC-01/04-01/06-T-191-Red2-FRA), le témoin 89 (ICC-01/04-01/06-T-196-FRA), le témoin 31 (ICC-01/04-01/06-T-202-FRA) et le témoin 46 (ICC-01/04-01/06-T-207-FRA). L’accusation a aussi décrit les aspects relatifs au genre des accusations dans ses déclarations d’ouverture en janvier 2009 (ICC-01/04-01/06-T-107-FRA) et dans ses conclusions finales en août 2011 (ICC-01/04-01/06-T-356-FRA).
49   ICC-01/04-01/06-2876, par 38.
50   ICC-01/04-01/06-2876, par 38.
51   ICC-01/04-01/06-2865, par 27.
52   ICC-01/04-01/06-2876, par 54.
53   ICC-01/04-01/06-2876, par 55.
54   ICC-01/04-01/06-2876, par 54.
55   ICC-01/04-01/06-2876, par 57-58.
56   ICC-01/04-01/06-2872, par 244. La disponibilité de ces ressources complémentaires, en plus du fait que l’octroi des réparations payées par Lubanga peut seulement être accordé aux victimes de crimes pour lesquels il a été reconnu coupable, affecteront probablement la Chambre dans sa décision d’accorder des réparations individuelles ou collectives, ainsi que dans quelle mesure.
57   L’article 75(2) prévoit que la Cour peut décider d’accorder une indemnité à titre de réparation par l'intermédiaire du Fonds au profit des victimes.
58   ICC-01/04-01/06-2872, par 190-219.
59   ICC-01/04-01/06-2872, par 184, 230-231.
60   ICC-01/04-01/06-2872, par 183.
61   ICC-01/04-01/06-2876, par 59.
62   ICC-01/04-01/06-2876, par 59, citant des présentations de Women’s Initiatives devant le Conseil de direction du Fonds au profit des victimes, y compris les 21 avril 2004, 22 novembre 2005, 3 juin 2009 et 20 mars 2012, figurant dans les dossiers de Women’s Initiatives for Gender Justice.
63   ICC-01/04-01/06-2876, par 49.

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