Bulletin juridique Panorama légal juillet 2011

 
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Chères amies, chers amis,

Bienvenue au numéro de juillet 2011 de Panorama légal de la CPI, le bulletin juridique régulier de Women's Initiatives for Gender Justice. Dans Panorama légal de la CPI, vous trouverez des résumés et des analyses des décisions juridiques et des développements légaux au sein de la Cour pénale internationale (CPI), ainsi que des discussions autour des questions juridiques découlant de la parution des victimes devant la Cour, d’autant plus que ces questions se rapportent à la condamnation pour des crimes basés sur le genre dans chacune des situations faisant l’objet d’enquêtes par la CPI. La Cour a actuellement ouvert des enquêtes pour les situations en Ouganda, en République démocratique du Congo (RDC), au Darfour, Soudan, en République centrafricaine (RCA), au Kenya et en Libye.

En plus de Panorama légal de la CPI, nous produisons également Voix des Femmes, une lettre d’information régulière fournissant des mises à jour et des analyses sur les derniers développements politiques, la poursuite de la justice et la responsabilité pénale, la participation des femmes aux pourparlers de paix et aux efforts de réconciliation, du point de vue de militants pour les droits des femmes qui se trouvent dans des situations de conflits armés, notamment ceux faisant l’objet d’enquêtes par la CPI.

Plus d’informations sur le travail de Women’s Initiatives for Gender Justice et toutes les éditions antérieures de nos lettres d’information et bulletins juridiques sont disponibles sur notre site web www.iccwomen.org.

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Libye :: La Chambre préliminaire I délivre des mandats d’arrêt

Dans le cadre de la situation en Libye, à la suite de la requête présentée le 16 mai 2011[1] par le Procureur pour la délivrance de mandats d’arrêt contre Muammar Mohammed Abu Minyar Gaddafi (Gaddafi), Saif Al-Islam Gaddafi (Saif Al-Islam) et Abdullah Al-Senussi (Al-Senussi), la Chambre préliminaire I a délivré des mandats d’arrêt à l’encontre de ces trois individus le 27 juin 2011.[2] La situation en Libye résulte de la répression violente des manifestations contre le régime Gaddafi qui ont débuté le 15 février 2011. La situation a été déférée à la CPI le 26 février 2011 après que le Conseil de sécurité des Nations Unies, agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, ait voté à l’unanimité en faveur de la Résolution 1970.[3]

Après avoir examiné les renseignements présentés par le Procureur, la Chambre préliminaire I a considéré qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que des meurtres constituant un crime contre l’humanité avaient été commis du 15 février jusqu’au 25 février 2011 au moins, et que des actes de persécution pour des motifs d’ordre politique constituant un crime contre l’humanité avaient été commis du 15 février jusqu’au 28 février 2011 au moins par les forces de sécurité dans le cadre d’une attaque contre la population civile.[4] La Chambre a considéré qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que, au sens de l’article 25-3-a du Statut de Rome, Gaddafi et Saif Al-Islam seraient pénalement responsables en tant que coauteurs indirects et que Al-Senussi serait pénalement responsable en tant qu’auteur. Par conséquent, la Chambre a délivré des mandats d’arrêt à l’encontre de Gaddafi, Saif Al-Islam et Al-Senussi pour meurtre et persécution pour des motifs d’ordre politique constituant des crimes contre l’humanité.

Les médias continuent de rapporter de possibles cas de viol et d’autres formes de violence sexuelle, et le Procureur a fait des déclarations publiques concernant les allégations d’utilisation de Viagra par les troupes de Gaddafi. Toutefois, le Procureur n’a pas inclus ces accusations dans sa requête pour la délivrance de mandats d’arrêt contre Gaddafi, Saif Al-Islam et Al-Senussi. Le 8 juin 2011, lors d’une interview avec la BBC, le Procureur a affirmé que des enquêtes sur des allégations de viol étaient en cours et que des accusations de viol pourraient être ajoutées à la suite de la délivrance des mandats d’arrêt.[5]

■ Lire la décision de la Chambre préliminaire de délivrer des mandats d’arrêt contre Gaddafi, Saif Al-Islam et Al-Senussi (en anglais).

■ Lire la requête du Procureur aux fins de la délivrance de mandats d’arrêt contre Gaddafi, Saif Al-Islam et Al-Senussi (en anglais).

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Kenya :: La Chambre préliminaire II adresse des citations à comparaître à six individus

Le 8 mars 2011, dans le cadre de la situation au Kenya, la Chambre préliminaire II a rendu deux décisions[6] relatives aux requêtes présentées par le Procureur le 15 décembre 2010[7] pour la délivrance de citations à comparaître à l’encontre de William Samoei Ruto (Ruto), Henry Kiprono Kosgey (Kosgey), Joshua Arap Sang (Sang), ainsi qu’à l’encontre de Francis Kirimi Muthaura (Muthaura), Uhuru Muigai Kenyatta (Kenyatta) et Mohammed Hussein Ali (Ali). La situation au Kenya résulte des violences survenues dans le contexte des élections nationales kenyanes tenues le 27 décembre 2007. C’est la première situation à être portée devant la CPI où le Procureur a utilisé son pouvoir d’ouvrir une enquête de sa propre initiative en vertu de l’article 15 du Statut de Rome. Le 31 mars 2010, la Chambre préliminaire a autorisé le Procureur à ouvrir une enquête au Kenya.[8] Le juge Kaul a émis une opinion dissidente relativement aux deux délivrances de citations à comparaître.[9] La comparution initiale de Ruto, Kosgey et Sang a eu lieu le 7 avril 2011 et celle de Muthaura, Kenyatta et Ali a eu lieu le 8 avril 2011. Les audiences de confirmation des charges dans ces affaires sont prévues respectivement pour le 1er septembre et le 21 septembre.

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Citations à comparaître adressées à Ruto, Kosgey et Sang

Dans sa requête du 15 décembre 2010, le Procureur a déposé quatre chefs d’accusation pour crimes contre l’humanité à l’encontre de Ruto, Kosgey et Sang, soit : meurtre,[10] déportation ou transfert forcé de population,[11] torture;[12] et persécution pour des motifs d'ordre politique.[13] Après avoir examiné les renseignements présentés par le Procureur, la Chambre préliminaire II a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que des crimes contre l’humanité avaient été commis, à savoir meurtre, déportation ou transfert forcé de population et persécution.[14] La Chambre n’a pas considéré qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que des actes de torture constituant un crime contre l’humanité avaient été commis.[15]

La Chambre a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que Ruto et Kosgey étaient pénalement responsables, au sens de l’article 25(3)(a), en tant que coauteurs indirects et que Sang était pénalement responsable au sens de l’article 25(3)(d).[16]Par conséquent, la Chambre a délivré des citations à comparaître contre Ruto, Kosgey et Sang pour meurtre, transfert forcé de population et persécution constituant des crimes contre l’humanité.

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Citations à comparaître adressées à Muthaura, Kenyatta et Ali

Dans sa requête du 15 décembre 2010, le Procureur a déposé cinq chefs d’accusation pour crimes contre l’humanité à l’encontre de Muthaura, Kenyatta et Ali, soit : meurtre,[17] déportation ou transfert forcé de population,[18] viol et autres formes de violence sexuelle,[19] autres actes inhumains[20] et persécution pour des motifs d'ordre politique.[21] Dans sa requête, le Procureur a établi un lien entre ces crimes et des attaques qui se sont déroulées dans des endroits très précis, notamment à Naivasha, Nakuru, Kisumu et Kibera. Après avoir examiné les renseignements présentés par le Procureur, la Chambre préliminaire II a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que des crimes contre l’humanité avaient été commis, à savoir meurtre et transfert forcé de population. La Chambre a également considéré qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que des actes de viol constituant un crime contre l’humanité avaient été commis dans le cadre de l’attaque à Nakuru. Elle a toutefois conclu que le Procureur n’avait pas fourni la preuve que des viols avaient été commis durant l’attaque de Naivasha.[22] De plus, en ce qui concerne l’allégation de l’inaction des forces de police kenyanes durant les attaques de Nakuru et de Naivasha, la Chambre a noté, sans élaborer sur sa conclusion, que le Procureur avait soutenu que [Traduction] « l’attaque s’était déroulée selon une politique “organisationnelle”, sans prétendre à l’existence d’une politique d’État par abstention ».[23]

Les accusations d’autres formes de violence sexuelle dans la requête du Procureur pour la délivrance de citations à comparaître étaient fondées sur la circoncision forcée d’hommes Luo. Dans une décision inquiétante, la Chambre n’a pas considéré que ces actes étaient de « nature sexuelle » et elle a conclu qu’ils devraient être classés en tant qu’ « autres actes inhumains ».[24] La Chambre a aussi considéré qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que des actes de persécution constituant un crime contre l’humanité avaient été commis.[25]

Bien qu’elle ait conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire qu’il y avait eu des morts, des blessés et que des viols avaient été commis à Kisumu et à Kibera, la Chambre a estimé que le Procureur [Traduction] « n’avait pas fourni de renseignements factuels et de droit précis … permettant d’examiner si les actes de violence faisaient partie d’une attaque résultant d’une ou avançant une politique d’État ».[26] De plus, la Chambre a considéré que le Procureur n’avait pas présenté d’éléments matériels permettant de déterminer s’il y avait des motifs raisonnables de croire que les événements de Kisumu et/ou Kibera pouvaient être attribués à Muthaura, Kenyatta et/ou Ali.[27]

La Chambre a estimé qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que Kenyatta et Muthaura étaient pénalement responsables en tant que coauteurs indirects au sens de l’article 25(3)(a) et qu’Ali avait contribué d’une « autre manière » au sens de l’article 25(3)(d).[28] Par conséquent, la Chambre a délivré des citations à comparaître à l’encontre de Muthaura, Kenyatta et Ali pour meurtre, transfert forcé de population et persécution constituant des crimes contre l’humanité, mais seulement pour les crimes commis à Nakuru et à Naivasha, et pour viol constituant un crime contre l’humanité, mais seulement pour les crimes commis à Nakuru. La Chambre a refusé de délivrer des citations à comparaître pour les allégations de crimes commis à Kisumu et à Kibera.

Le 14 mars 2011, l’Accusation a demandé l’autorisation d’interjeter appel de deux questions soulevées dans la décision de la Chambre préliminaire délivrant des citations à comparaître à l’encontre de Muthaura, Kenyatta et Ali. La première question concernait l’interprétation par la Chambre du critère organisationnel des crimes contre l’humanité ; la deuxième question concernait la conclusion de la Chambre selon laquelle la circoncision forcée d’hommes adultes ne constituait pas d’« autres formes de violence sexuelle ».[29] Le 1er avril 2011,[30] la juge unique Trendafilova a rejeté la demande d’interjeter appel de l’Accusation au motif qu’aucune des questions soulevées n’était [Traduction] « susceptible d’appel ». En ce qui concerne le crime de la circoncision forcée, elle a toutefois relevé que cela n’empêchait pas le Procureur de porter des accusations d’autres formes de violence sexuelle plus tard durant les procédures.[31] En vertu de l’article 61(4), le Procureur peut modifier ou retirer des accusations avant l’audience de confirmation des charges.

Le 25 avril 2011, lors d’une interview avec IRIN, Brigid Inder, la directrice exécutive de Women’s Initiatives for Gender Justice, a exprimé sa préoccupation quant au nouveau classement des accusations de circoncision forcée par la Chambre préliminaire. [Traduction] « Selon nous, ces actes constituent une forme de violence sexuelle en raison de la force utilisée et de l'environnement coercitif, ainsi que l'intention et le but des actes » a-t-elle affirmé. « Il ne s’agit pas simplement de blessures et de souffrance, bien que ce soit aussi des aspects de ces crimes. Mais la circoncision forcée d’hommes Luo […] a à la fois une signification politique et ethnique au Kenya et a donc une signification particulière. Dans ce cas, elle se voulait l'expression d'une domination politique et ethnique d'un groupe sur l'autre et était destinée à diminuer l'identité culturelle des hommes Luo.»[32] Elle a ajouté que le Bureau du Procureur (BdP) n’avait pas insisté sur ces aspects dans sa requête pour la délivrance de citations à comparaître, affirmant simplement que ces actes étaient de nature sexuelle, sans élaborer davantage sur le sujet. Women’s Initiatives a demandé au BdP de bien plaider la cause pour que la circoncision forcée soit reconnue comme une forme de violence sexuelle.

Women’s Initiatives a préalablement exprimé ses préoccupations quant à la difficulté apparente de l’Accusation à présenter des éléments de preuves suffisants pour survivre aux stades des procédures relatifs aux mandats d’arrêt et à la confirmation des charges. Par exemple, l’accusation d’« autres formes de violence sexuelle » qui a également été déposée par le Procureur dans l’affaire Bemba, n’a jamais pu être maintenue par le BdP après le stade des procédures relatif au mandat d’arrêt/citation à comparaître.

■ Lire l’interview de presse avec Brigid Inder ici (en anglais).

■ Lire les décisions de la Chambre préliminaire de délivrer des citations à comparaître à l’encontre de Ruto, Kosgey et Sang (en anglais) et à l’encontre de Muthaura, Kenyatta et Ali (en anglais).

■ Lire la décision de la Chambre préliminaire rejetant la demande d’autorisation du Procureur d’interjeter appel (en anglais).

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Kenya :: Rejet des exceptions d’irrecevabilité des affaires soulevées par le gouvernement du Kenya

Le 30 mars 2011, le gouvernement du Kenya a soumis une contestation judiciaire relativement aux affaires contre Ruto, Kosgey et Sang, et contre Muthaura, Kenyatta et Ali en vertu de l’article 19 du Statut.[33] Cet article permet à un État qui est compétent à l’égard des crimes considérés de contester la recevabilité d’une affaire devant la CPI du fait qu'il mène une enquête ou qu'il exerce des poursuites en l'espèce. Il s’agit essentiellement du principe de complémentarité, ce qui signifie que la CPI n’intervient que si les autorités nationales ne procèdent pas à des enquêtes ou des poursuites, ou si elles n’ont pas la volonté ou sont dans l’incapacité de le faire. C’est la première fois que la recevabilité d’une affaire était contestée par un État Partie. Selon le gouvernement du Kenya, les affaires devraient être déclarées irrecevables en raison d’importantes réformes constitutionnelles et judiciaires récemment entreprises et du fait qu’il prévoyait de mener ses propres enquêtes sur la violence postélectorale de 2007 et 2008. Le gouvernement a reconnu qu’il n’y avait pas de procédures actuellement en cours contre les six individus nommés à titre de suspects par la CPI, mais a expliqué que sa stratégie était de suivre une approche « bottom-up » en concentrant d’abord ses enquêtes et poursuites sur les auteurs de bas niveau, avant de passer aux suspects de haut niveau.[34]

Le 30 mai 2011, la Chambre préliminaire a rejeté la contestation du gouvernement kényan relative à la recevabilité des deux affaires.[35] La Chambre s’est réjouie des réformes judiciaires implantées par le gouvernement et de la volonté apparente de l’État de mener des enquêtes approfondies sur la violence postélectorale. Toutefois, la Cour avait préalablement déterminé que pour qu’une affaire soit jugée irrecevable, il était nécessaire que les procédures nationales englobent tant le comportement que la personne ou les personnes qui font l’objet de procédures devant la CPI (le test de « même personne/même comportement »).[36] La Chambre préliminaire a soutenu qu’en admettant que ses enquêtes en cours étaient dirigées vers les auteurs de bas niveau, le gouvernement du Kenya a indiqué clairement qu’il n’y avait actuellement aucune procédure engagée contre les six suspects devant la Cour.[37] Pour ces motifs, la Chambre a conclu que l’inaction du gouvernement kényan en ce qui concerne les enquêtes ou les poursuites relatives à ces six individus rendait les deux affaires recevables.[38]

Le 6 juin 2011, le gouvernement du Kenya a interjeté appel de la décision de la Chambre préliminaire.[39] Dans son document à l’appui de l’appel, déposé le 20 juin 2011,[40] le gouvernement kényan soutient que la Chambre préliminaire a commis une erreur en concluant que les six individus ne faisaient actuellement pas l’objet d’une enquête. Le gouvernement a souligné que la Chambre avait trop rapidement rejeté la contestation relative à la recevabilité de l’affaire et qu’elle n’avait pas tenu compte des renseignements additionnels que le gouvernement prévoyait de présenter lors d’une audience orale. Le gouvernement a également soutenu que la Chambre n’avait pas tenu compte des arguments qu’il avait présentés dans sa contestation de la recevabilité quant au bien-fondé du test de « même personne/même comportement ». Au moment de cette publication, aucune décision relative à cet appel n’a été rendue.

■ Lire la contestation relative à la recevabilité du gouvernement kényan dans le cadre des deux affaires (en anglais).

■ Lire la décision de la Chambre préliminaire rejetant la contestation relative à la recevabilité du gouvernement kényan dans l’affaire Ruto, Kosgey et Sang (en anglais) et dans l’affaire Muthaura, Kenyatta et Ali (en anglais).

■ Pour de plus amples renseignements sur la situation au Kenya, veuillez consulter la publication Gender Report Card 2010 (en anglais).

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RDC :: Demande d’observations sur les atteintes à l’administration de la justice dans l’affaire Lubanga

Le 29 mars 2011, dans l’affaire Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, la Chambre de première instance I a demandé aux parties et aux participants de soumettre leurs observations quant à la procédure à adopter relativement à l’article 70 du Statut de Rome.[41] Cet article concerne les atteintes à l’administration de la justice ; la sous-section (1)(c) traite notamment des atteintes suivantes : « [s]ubornation de témoin, manoeuvres visant à empêcher un témoin de comparaître ou de déposer librement, représailles exercées contre un témoin en raison de sa déposition, destruction ou falsification d'éléments de preuve, ou entrave au rassemblement de tels éléments ».[42] La demande fait suite à une enquête de l’Unité d’aide aux victimes et aux témoins qui a soulevé le problème de menaces directes et indirectes que des victimes auraient proférées envers des témoins de la Défense durant les procédures. Les détails de l’enquête de l’Unité d’aide aux victimes et aux témoins n’ont pas été rendus publics. La Chambre a ordonné aux parties et aux participants de soumettre des observations relatives à l’organe de la Cour, ou à l’organe externe, qui devrait mener des enquêtes en vertu de l’article 70. L`accusation, la Défense et les Représentants légaux des victimes ont présenté leurs observations le 1 avril 2011. C’est la première fois que l’article 70 est visé par une procédure de la CPI.

Les Représentants légaux des victimes (RLV)[43] ont été les premiers à répondre, fournissant des observations détaillées sur les différentes options de la Chambre. En ce qui concerne la compétence de la Cour, ils ont relevé que la Chambre avait le pouvoir de l’exercer en la matière ou qu’elle pouvait la référer à un État Partie, en prenant en considération sa compétence et son expérience relative à ce type d’infraction. Si la Cour décide de déléguer son autorité en la matière à un État Partie, les observations suggèrent à la Cour de considérer attentivement les éléments contenus dans la règle 162(2)[44] ainsi que l’impact potentiel sur les victimes et les témoins d’une telle délégation. Les RLV ont aussi recommandé de suivre une procédure similaire à celle du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) et à celle du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) pour mener des enquêtes sur ce type d’infraction. La procédure du TPIY et du TPIR contraste avec le cadre légal de la CPI en prévoyant que la Chambre peut demander au Greffier de désigner un amicus curiae provenant d’une partie ou d’un organe indépendants. Cette option empêcherait toute possibilité de conflit d’intérêts du Bureau du Procureur.

Dans ses observations,[45] l’Accusation a affirmé être le seul organe de la Cour que le Statut autorise à mener des enquêtes, y compris pour des infractions en vertu de l’article 70, tel que le prévoit expressément la règle 165 du Règlement de procédure et de preuve de la Cour. En ce qui a trait au rôle du Greffe, l’Accusation a soutenu que ses seules responsabilités concernaient « les aspects non judiciaires de l'administration et du service de la Cour ».[46] Elle a aussi affirmé que dans un cas de conflit d’intérêts, elle pouvait créer des divisions internes au sein du Bureau aux fins des enquêtes relatives à l’article 70.

La Défense[47] a reconnu qu’il incombait au Bureau du Procureur de mener des enquêtes, y compris pour les atteintes à l’administration de la justice, comme prévu par les règles 163 et 165. Elle a toutefois insisté sur le conflit d’intérêts potentiel et sur la nécessité de désigner un enquêteur indépendant pour conduire les enquêtes relatives à l’article 70, car ces dernières requièrent que des témoins de la Défense soient interrogés par l’Accusation, un organe opposé à la thèse de la Défense. La Défense a soutenu qu’une telle enquête pourrait nuire à l’impartialité et à l’équité du procès. Par conséquent, elle a réitéré sa recommandation selon laquelle un enquêteur indépendant devrait mener les enquêtes sur les atteintes potentielles, de façon similaire aux procédures contemplées par les tribunaux ad hoc.

Au moment de cette publication, la Chambre de première instance n’a pas rendu sa décision sur la question.

■ Lire les observations des Représentants légaux des victimes, de l’Accusation (en anglais), et de la Défense.

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RDC :: Des témoins de la Défense détenus dans l’affaire Katanga/Ngudjolo demandent l’asile

Le 9 juin 2011, dans le cadre de l’affaire Katanga/Ngudjolo, la Chambre de première instance II a rendu une décision suspendant le retour immédiat de trois témoins détenus en RDC, dans l’attente de leurs demandes d’asile politique aux Pays-Bas.[48] Les trois individus sont des collègues militaires de l’accusé qui étaient détenus à la prison de Malaka à Kinshasa et qui ont été transférés à La Haye pour témoigner en vertu de l’article 93 du Statut de Rome et de la règle 192 du Règlement de procédure et de preuve. Ces règles créent un cadre procédural qui prescrit au Greffier de s’occuper du transfert et de la garde des témoins et de les renvoyer après leur témoignage. C’est la première fois qu’un témoin devant la CPI demande l’asile.

Dans cette décision, la Chambre a examiné la portée exacte de son devoir de protection des témoins, conformément à l'article 68 du Statut de Rome, soulignant les distinctions entre cette responsabilité et le devoir de la Cour de les protéger contre les violations des droits de l’homme en général.[49] Elle a déterminé que l’article 68 confie à la Cour un mandat limité à « prévenir les risques encourus par les témoins du fait de leur collaboration avec elle ».[50] Cependant, la Chambre a reconnu son obligation, en vertu des droits de l’homme internationalement reconnus, de respecter le droit des témoins détenus de demander et d’obtenir l’asile, et elle a conclu qu’elle ne pouvait pas interférer avec ce droit. En particulier, elle a reconnu le principe du non-refoulement qui protège les réfugiés en interdisant qu’ils soient renvoyés dans un endroit où leurs vies ou leurs libertés pourraient être menacées.[51] La Cour a également déterminé qu’elle n’était pas tenue d’évaluer les risques de persécution encourus par les témoins demandeurs d’asile, et qu’elle n’était pas véritablement en mesure d’appliquer le non-refoulement parce que la Cour ne possède pas de territoire où elle pourrait maintenir des témoins sous sa juridiction. Elle a toutefois conclu qu’elle ne pouvait pas ignorer les droits de l’homme internationaux qui permettent un recours ouvert à la procédure d’asile.[52]

La Chambre a aussi ordonné au Greffe d’autoriser les contacts entre les témoins détenus et leurs conseils néerlandais, ce qui avait auparavant été interdit par le Greffe en raison d’une entente préexistante avec les autorités congolaises, desquelles une autorisation préalable était nécessaire pour tout contact avec des individus à l’extérieur du centre de détention.[53] Cependant, dans le cadre des demandes d’asile, la Chambre a déterminé que « cette situation ne saurait perdurer » et elle a ordonné que les conseils néerlandais puissent avoir accès aux témoins dès que possible. La décision a aussi rejeté la demande des avocats néerlandais d’intervenir en qualité d’amicus curiae. Étant donné que la demande d’asile était déjà devant les autorités néerlandaises, la Chambre n’a pas conclu que des observations d’amicus curiae lui seraient « utiles » dans son examen des faits.

Dans sa décision du 9 juin, la Chambre n’a pas déterminé si des mesures de protection adéquates pouvaient être mises en place avant le renvoi des témoins, soulignant qu’une fois satisfaite des mesures de protection en RDC, « la Cour n'a, en principe, aucune raison de différer à plus tard le renvoi des témoins en RDC ».[54] Le Bureau du Procureur, le gouvernement du Royaume des Pays-Bas et le gouvernement de la RDC ont tous soumis des demandes d’autorisation d’interjeter appel de la décision.

Dans une décision ultérieure rendue le 22 juin, la Chambre semble toutefois avoir infirmé ses conclusions précédentes, soutenant que :

[p]ar conséquent, les témoins détenus peuvent en principe être transférés dès que l’Unité [d’aide aux victimes et aux témoins] aura confirmé que la RDC a accepté de coopérer avec la Cour sur cette question et que tous les préparatifs nécessaires auront été achevés. La Chambre rappelle cependant à la RDC que même si les mesures susmentionnées sont mises en œuvre, la Cour ne sera en mesure de lui renvoyer les témoins détenus que si les autorités néerlandaises rejettent leur demande d’asile.[55]

La décision du 22 juin a été rendue après que le Greffe ait soumis des observations sur l’efficacité de mesures de protection proposées le 7 juin,[56] un rapport contesté par les conseils des témoins. Dans sa précédente évaluation des risques, l’Unité d’aide aux victimes et aux témoins avait considéré que le fait que des témoins aient comparu devant la CPI n’était pas susceptible d’accroître leur degré d’exposition à un risque.[57] L’Unité a cependant relevé qu’il serait difficile de mettre en place des mesures de protection adéquates pour les témoins détenus dans un système carcéral.[58] Dans sa décision du 22 juin, la Chambre a conclu que la mise en place de plusieurs mesures de protection respecterait les critères nécessaires pour permettre le retour des témoins tel que décrit ci-dessus. Les critères devant être mis en place par les autorités de la RDC incluent : leur incarcération dans le centre en mesure de leur offrir le maximum de protection, sous la supervision de gardes spécialement formés et dans des conditions propres à les protéger des codétenus, avec un accès aux représentants de l’Unité d’aide aux victimes et aux témoins deux fois par semaine, y compris durant toute procédure les concernant.[59]

Les trois témoins affirment que leurs vies et celles de leurs familles seront en danger s’ils sont renvoyés en RDC, car ils connaissent le rôle du gouvernement, en particulier celui du président Kabila, dans l’attaque de Bogoro. Pour soutenir cette allégation, les conseils néerlandais des trois témoins ont fait parvenir une communication urgente à la Chambre de première instance concernant le statut du colonel Richard Beiza Bamuhiga (un Congolais), qui aurait été gravement agressé par les forces de sécurité ougandaises après le retrait de son statut de réfugié à la suite d’un accord intervenu entre les autorités ougandaises et congolaises, et qui serait dans un état critique.[60] La Défense de Ngudjolo a aussi présenté des observations appuyant la requête des témoins pour que la CPI ne les renvoie pas en RDC.[61]

La Défense de Katanga avait demandé de rencontrer les témoins au centre de détention de la CPI avant leur témoignage. Cette requête a été rejetée par la Chambre de première instance qui a soutenu que le protocole relatif à la familiarisation des témoins interdit ce type de contact. La Chambre a autorisé la Défense de Katanga à tenir des rencontres urgentes avec des témoins dans la partie administrative d’un établissement pénitentiaire en RDC.[62] Le conseil de la Défense a ensuite demandé que les témoins puissent visiter l’accusé en prison après leur témoignage à la CPI.[63] Au moment de cette publication, la Chambre de première instance n’a pas rendu de décision relative à cette requête.

■ Lire la décision de la Chambre de première instance de suspendre le retour immédiat des témoins.

■ Lire la décision de la Chambre de première instance relative à la sécurité des trois témoins.

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1   ICC-01/11-4-RED.
2   ICC-01/11-12; ICC-01/11-13; ICC-01/11-14; ICC-01/11-15.
3   Résolution 1970, Conseil de sécurité des Nations Unies, 6491e séance, S/Res/1970 (2011), 26 février 2011.
4   ICC-01/11-12, par 41, 65.
5   « Libya: Gaddafi investigated over use of rape as weapon », BBC News, 8 juin 2011, disponible à http://www.bbc.co.uk/news/world-africa-13705854, consulté la dernière fois le 27 juin 2011.
6   ICC-01/09-01/11-1; ICC-01/09-02/11-1.
7   ICC-01/09-30-RED; ICC-01/09-31-RED.
8   ICC-01/09-19.
9   ICC-01/09-01/11-2 ; ICC-01/09-02/11-3. À la suite de son opinion dissidente du 31 mars 2010 relativement à la décision autorisant le Procureur à ouvrir une enquête sur la situation au Kenya (ICC-01/09-19), le juge Kaul a exprimé son désaccord avec la décision prise à la majorité visant la délivrance de citations à comparaître à l’encontre de six individus, car selon lui la CPI n’a pas la compétence ratione materiae. Bien qu’il ait conclu qu’il y avait des raisons de croire que Ruto, Kosgey et Sang étaient pénalement responsables d’avoir planifié et organisé les crimes allégués, le juge Kaul n’a pas considéré que ces crimes avaient été commis [Traduction] « dans la poursuite de la politique d’un État ou d’une organisation, ce qui constitue un élément essentiel et une caractéristique intrinsèque des crimes contre l’humanité en vertu de l’article 7 du Statut » (ICC-01/09-01/11-2, par 50, souligné dans l’original). De façon similaire, rappelant son interprétation des caractéristiques essentielles d’une « organisation » émises dans son opinion dissidente quant à la décision du 31 mars 2010, le juge Kaul n’a pas considéré qu’il y avait d’« organisation » dans la requête du Procureur pour la délivrance de citations à comparaître à l’encontre de Muthaura, Kenyatta et Ali (ICC-01/09-02/11-3, par 27). Il a plutôt qualifié la coopération entre les Mungiki et les forces policières kenyanes de [Traduction] « partenariat limité à des raisons pratiques » (par 31).
10   Article 7(1)(a).
11   Article 7(1)(d).
12   Article 7(1)(f).
13   Article 7(1)(h).
14   ICC-01/09-01/11-1, par 30-32.
15   ICC-01/09-01/11-1, par 33.
16   ICC-01/09-01/11-1, par 37-39.
17   Article 7(1)(a).
18   Article 7(1)(d).
19   Article 7(1)(g).
20   Article 7(1)(k).
21   Article 7(1)(h).
22   ICC-01/09-02/11-1, par 26.
23   ICC-01/09-02/11-1, par 24.
24   ICC-01/09-02/11-1, par 27.
25   ICC-01/09-02/11-1, par 28.
26   ICC-01/09-02/11-1, par 31.
27   ICC-01/09-02/11-1, par 32.
28   ICC-01/09-02/11-1, par 45-51.
29   ICC-01/09-02/11-2-Red, par 5.
30   ICC-01/09-02/11-27.
31   ICC-01/09-02/11-27, par 29.
32   « Kenya: Plea to ICC over forced male circumcision », IRIN News, 25 avril 2011, disponible à http://www.irinnews.org/report.aspx?ReportId=92564, consulté la dernière fois le 24 juin 2011.
33   ICC-01/09-01/11-19 and ICC-01/09-02/11-26.
34   ICC-01/09-01/11-19 and ICC-01/09-02/11-26, par 71.
35   ICC-01/09-01/11-101 and ICC-01/09-02/11-96.
36   ICC-01/04-01/06-8-Corr, par 31 and 37-39.
37   ICC-01/09-01/11-101, par 62 and ICC-01/09-02/11-96, par 58.
38   ICC-01/09-01/11-101, par 70 and ICC-01/09-02/11-96, par 66.
39   ICC-01/09-01/11-109 et ICC-01/09-02/11-104.
40   ICC-01/09-01/11-135 et ICC-01/09-02/11-130.
41  ICC-01/04-01/06-2716 première note en bas de page ; la demande d’observations a été faite dans le courriel qu’un juriste de la Chambre a adressé aux parties et aux participants.
42   Article 70(1)(c) du Statut. L’article 70(1) contient une liste détaillée de violations qui relèvent de la compétence de la Cour, en insistant sur les violations commises intentionnellement.
43   ICC-01/04-01/06-2714.
44   Les facteurs à considérer selon la règle 162(2) incluent notamment : la disponibilité et l’efficacité des moyens de poursuite dans l’État Partie ; la gravité de l’atteinte commise ; la possibilité de joindre les charges visées à l’article 70 avec celles qui sont visées aux articles 5 à 8 ; la nécessité de diligenter la procédure ; les liens avec une enquête en cours ou un procès porté devant la Cour ; et les questions relatives à l’administration de la preuve.
45   ICC-01/04-01/06-2716.
46   ICC-01/04-01/06-2716 par 4 faisant référence à l’article 43(1).
47   ICC-01/04-01/06-2715.
48   ICC-01/04-01/07-3003-tEng.
49   ICC-01/04-01/07-3003-tEng, para 59.
50   49 ICC-01/04-01/07-3003, par 61 (c’est nous qui soulignons).
51   ICC-01/04-01/07-3003-tEng, par 67-9.
52   ICC-01/04-01/07-3003-tEng, par 63-4.
53   ICC-01/04-01/07-3003-tEng, par 75.
54   ICC-01/04-01/07-3003-tEng, par 85.
55   ICC-01/04-01/07-3033, par 42.
56   ICC-01/04-01/07-2989.
57   ICC-01/04-01/07-2799-Conf cité dans ICC-01/04-01/07-2952, par 26, 32.
58   ICC-01/04-01/07-2952, par 12, 33.
59   ICC-01/04-01/07-3033, par 41.
60   ICC-01/04-01/07-2963.
61   ICC-01/04-01/07-2965.
62   ICC-01/04-01/07-2755.
63   ICC-01/04-01/07-2773.
 

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